Le Concerto pour piano de Busoni, un monument par Igor Levit et Antonio Pappano avec la Radio bavaroise
Plus de détails
Munich. Isarphilharmonie. 21-VI-2025. Ferruccio Busoni (1866-1924) : Concerto pour piano, chœur d’hommes et orchestre op. 39 (texte du chœur : Adam Oehlenschlager, Hymne à Allah, extrait du conte Aladin). Igor Levit, piano ; chœur de la Radio Bavaroise ; Orchestre symphonique de la Radio bavaroise ; direction : Antonio Pappano.
Entendre cette œuvre hors normes est une expérience gratifiante, mais le projet titanesque de Busoni ne reste qu'une curiosité.
Huitième de Mahler, Gurre-Lieder, et ce concerto hors normes : le début du XXe siècle a été fécond en œuvres faisant exploser le cadre artistique et économique du concert symphonique, en guise de chant du cygne du post-wagnérisme. 70 minutes de musique, un chœur d'homme intervenant dans le finale, des ambitions philosophiques à peu près infinies, et pour ne rien simplifier une partie soliste qui unit virtuosité sans concession et fréquente intégration de l'instrument dans le magma orchestral (Busoni hésitait dans le titre de l'œuvre entre pianoforte obbligato et pianoforte principale, comme pour indiquer que son rôle n'est pas tout à fait le rôle soliste dominant habituel dans le genre). Toutes ces singularités valent à l'œuvre une popularité toujours en demi-teinte, en même temps qu'une vénération de certains interprètes, aujourd'hui notamment Kirill Gerstein et le soliste de ce soir, Igor Levit.
Levit n'en est pas à ses débuts avec le concerto : il l'a déjà joué avec Antonio Pappano aussi bien qu'avec Esa-Pekka Salonen, à de nombreuses reprises. C'est avec ce dernier qu'il devait faire équipe pour les trois concerts à Munich ; des impératifs de calendrier ont conduit ce dernier à annuler à nouveau sa venue, si bien que, fort logiquement, c'est Antonio Pappano qui vient à la rescousse. Le public ovationne comme il se doit tous les interprètes de cette œuvre impressionnante ; est-ce à dire qu'on en sort pleinement convaincu ? Témoignage saisissant des visions musicales et extra-musicales d'un des plus grands esprits de son temps, le concerto veut certainement trop en dire, trop embrasser, et malgré les ambitions formelles considérables de Busoni on reste perplexe devant tant de surcharge – même le quatrième mouvement, scherzo aux inspirations italiennes (un peu trop) évidentes, ne laisse aucune place à la détente. Une acoustique un peu plus précise et large que celle de l'Isarphilharmonie n'aurait certainement pas nui (Kirill Gerstein l'a jouée cette saison à la Philharmonie de Berlin, qui lui a sans doute été beaucoup plus favorable, et à Paris en octobre dernier), notamment pour mieux mettre en valeur le pianiste : Igor Levit est l'homme de tous les défis au piano, et la partition ne semble jamais mettre sa virtuosité en défaut, mais l'orchestre est souvent tellement présent qu'il couvre même les accords les plus diabolique du soliste.
Pappano, qu'on connaît d'abord comme chef lyrique, n'essaie pas de lutter contre les excès de la partition ; l'orchestre sans doute motivé par ce défi inédit le suit sans retenue dans la démesure, et on ne peut que remercier le clarinettiste Stefan Schilling, qui brille une dernière fois dans ses solos avant de quitter l'orchestre. Le plus beau moment de la soirée est pourtant sans nul doute le chœur d'hommes final, inspiré directement par celui de la Symphonie Faust de Liszt ; le chœur de la radio bavaroise, présent sur scène et non en coulisse, apporte un peu de transparence et de délicatesse musicale dont le public a bien besoin après une heure de sonorités sombres et d'excès dynamiques.
Crédit photographique : © Severin Vogl
Lire aussi le dossier : Ferruccio Busoni, une biographie pour un centenaire

FERRUCCIO BUSONI, UNE BIOGRAPHIE POUR UN CENTENAIRE – Auteur : Bénédict Hévry
Plus de détails
Munich. Isarphilharmonie. 21-VI-2025. Ferruccio Busoni (1866-1924) : Concerto pour piano, chœur d’hommes et orchestre op. 39 (texte du chœur : Adam Oehlenschlager, Hymne à Allah, extrait du conte Aladin). Igor Levit, piano ; chœur de la Radio Bavaroise ; Orchestre symphonique de la Radio bavaroise ; direction : Antonio Pappano.