Erik Satie le moqueur, par Christian Wasselin

Dans la collection Folio Biographies de Gallimard, Christian Wasselin s'attache à la figure déroutante et mystérieuse d'Erik Satie, à l'occasion des cent ans de sa disparition le 1^er juillet 1925.

Le prolifique Christian Wasselin s'est intéressé à une quantité de compositeurs des XIX^e et XX^e siècles (Beethoven, Berlioz, les Schumann, Mahler…). C'est au tour d'Erik Satie de passer à la moulinette de son écriture exubérante. S'appuyant sur de solides références (notamment les biographies de Vincent Lajoinie et Jean-Pierre Armangeaud et l'impressionnante œuvre éditoriale d'Ornella Volta), il ne cherche pas à renouveler radicalement l'approche et la vision que l'on peut avoir de Satie, mais produit là une vulgarisation de bon aloi, illustrée avec pertinence.

« Débusquer Satie sans le brusquer », tel est le mot d'ordre que Christian Wasselin s'est donné. Sa méthode consistant à louvoyer entre les événements historiques, l'environnement culturel, l'entourage, les citations et les réflexions d'ordre musicologique peut déranger ceux qui apprécient un propos direct et une écriture biographique plus proche de la personne. Le goût de la formule de Christian Wasselin, s'il donne de belles trouvailles (« Il s'est moqué. De lui, du monde, de tous. Satie est un merle. Il a fait ce qu'il a voulu. Il a donné ce qu'il a pu. » page 264), occasionne aussi des images moins heureuses (« Dr Erik et Mr Satie ont plus d'un tour dans leur sac. Leur idéal s'appelle Socrate, l'absinthe est leur cigüe. » page 16). Pour notre part, avouons que les premières pages lues, nous nous habituons à cette approche assez libre, quoique la chronologie un peu flottante dans les derniers chapitres, consacrés aux années de guerre et d'après-guerre, brouille quelque peu les choses. On se perd parfois dans la description des querelles de chapelles dans lesquelles Satie n'a semble-t-il qu'un rôle secondaire (les debussystes contre les ravéliens, les surréalistes contre les dadaïstes…). Quoi qu'il en soit, le tableau d'ensemble est bien rendu, et l'on finit par avoir une idée assez complète du réseau de relations dans lequel s'inscrivait Satie, et de son importance pour lui.

Du point de vue musicologique, le propos est juste et éclairant, jamais pontifiant ; quant à la personnalité, Satie reste un mystère. Certains de ses traits de caractère sont relativement bien connus : excentricité, fantaisie, modestie, susceptibilité ; on découvre à la lecture de cet essai d'autres facettes moins évidentes, que l'auteur, s'il les met en évidence, ne cherche pas vraiment à expliquer, notamment le refus presque constant de Satie d'endosser un rôle de chef de file ou même de se réclamer d'une école, son aisance avec les écrivains et plasticiens comparée à ses relations tumultueuses avec les musiciens, ou encore son étonnante grossièreté, notamment à l'écrit, qu'il serait intéressant de soumettre à l'avis rétrospectif d'un psychiatre.

Dans tous les cas, avec cet ouvrage riche et accessible, voici une lecture stimulante, qui donne envie d'aller plus loin dans la découverte de ce personnage pétri de contradictions, et dans celle de sa musique.