Nuits et rêves pour les jeunes et moins jeunes chorégraphes du Ballet de Stuttgart
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Stuttgart. Schauspielhaus. 19-VI-2025. Nacht/Träume (Nuit/Rêves).
Sospesi. Chorégraphie et costumes : Vittoria Girelli. Musique : Davidson Jaconello, Edward Elgar, Franz Schubert, Frédéric Chopin. Décor : Francesca Sgariboldi. Avec : Mackenzie Brown, Diana Ionescu, Ruth Schultz, Irene Yang, Matteo Miccini, Edoardo Sartori, Martino Semenzato.
La Jeune Fille et les Morts. Chorégraphie : Sasha Riva, Simone Repele. Musique : Franz Schubert. Avec : Aoi Sawano, Lassi Hirvonen, Martino Semenzato.
Nachtmerrie. Chorégraphie : Marco Goecke. Musique : Keith Jarrett, Lady Gaga. Costumes : Thomas Lempertz. Avec : Mackenzie Brown, Henrik Erikson.
Lost Room. Chorégraphie : Fabio Adorisio. Musique : Marc Strobel, Sergej Rachmaninow, Edvard Grieg. Décor et costumes : Thomas Mika. Avec : Mizuki Amemiya, Agnes Su, Irene Yang, Lassi Hirvonen, Christopher Kunzelmann, Matteo Miccini, Adhonay Soares da Silva.
Musique enregistrée.
Le soutien aux jeunes chorégraphes a une longue tradition à Stuttgart : en reprenant quelques-uns de ses créations récentes, les danseurs de la troupe montrent que cette belle ambition est toujours aussi actuelle.
En 2 h 25 de représentation, le public n'a eu droit qu'à 1 h 10 de danse : on comprend bien les impératifs techniques de changement de décor, mais tant de pauses finissent par émousser l'intérêt, même si le public reste enthousiaste jusqu'à la dernière pièce. Le thème nocturne de la soirée, heureusement, lui donne une cohérence, même s'il faut la payer par des costumes presque uniformément noirs. Deux pièces d'ensemble d'une bonne vingtaine de minutes entourent deux pièces plus courtes, un trio puis un duo, toutes créées par le Ballet de Stuttgart entre 2021 et 2023.
Le point commun entre les différents chorégraphes est que tous ont été aidés à leurs débuts par le programme Noverre, porté jusqu'en 2018 par l'association du même nom et depuis sa dissolution par le Ballet de Stuttgart lui-même : visant à soutenir les jeunes chorégraphes, et notamment les essais en la matière des danseurs de la troupe, le programme Noverre a soutenu de futurs grands noms de la danse, de Forsythe à Kylián, de Neumeier à Spuck. Aucun des chorégraphes de la soirée n'en est tout à fait à son coup d'essai. Vittoria Girelli, la seule femme de la soirée, s'intéresse à la chorégraphie depuis une décennie, avant même la fin de ses études comme danseuse, et le Ballet de Stuttgart, où elle est entrée en 2016, la soutient activement dans le développement de son travail.
Sospesi est la seule pièce de la soirée à offrir un décor, en forme de pans de murs s'incurvant avant de toucher le sol. Girelli y met en scène sept danseurs avec l'ambition de faire voir sur scène un monde en métamorphose, en transition, entre homme et animal, entre monstres à la Bosch et oiseaux de la pièce d'Aristophane, mais il faut bien dire que ce cadre un peu austère, pauvre en couleurs, n'aide pas à déclencher l'imagination, ni à faire sentir la progression imaginée par la chorégraphe. L'originalité du mouvement attire souvent l'attention, et la qualité des danseurs de Stuttgart se trouve bien mise en valeur, mais Vittoria Girelli gagnerait à faire voir un peu plus nettement ses intentions.
La jeune fille et les morts, d'après le deuxième mouvement du quatuor presque homonyme de Schubert, prend au premier degré les indications du titre : les deux chorégraphes Sasha Riva et Simone Riepele mettent en scène une jeune fille en longue robe de chambre, et deux personnages masculins qu'on peut identifier comme les morts. La jeune fille est ici Aoi Sawano, jeune demi-soliste de la troupe, dans un rôle créé quelques semaines plus tôt par Elisa Badenes : elle y met une fougue juvénile très émouvante, et même si la pièce gagnerait à resserrer les liens entre elle et les deux figures masculines, à la fois implacables et consolantes, l'émotion qu'elle dégage étant certainement ce qu'il y a de plus fort dans cette soirée.
Le doyen des chorégraphes de la soirée est Marco Goecke, le futur directeur du Ballet de Bâle, qui a longtemps été une figure dominante de la danse à Stuttgart, en tant que chorégraphe en résidence depuis 2005 ; depuis que Tamas Detrich avait mis un terme à cette résidence à la fin de la saison 2017/2018, ses pièces avaient à peu près disparu du répertoire. Nachtmerrie, en néerlandais Cauchemar, est un peu une exception : ce duo d'une dizaine de minutes a été créé en juin 2021, à la sortie de la phase aiguë de la crise du Covid, par et pour les mêmes danseurs que ce soir. La pièce s'ouvre par un solo du danseur masculin, Henrik Erikson, qui parvient à donner une force de vie inhabituelle aux saccades qui font le style de Marco Goecke : robot doué de vie humaine, humain enserré dans des liens qui bloquent son mouvement ? Sa relation avec le personnage féminin dansé par Mackenzie Brown montre cette même limite hésitante entre intense rencontre de deux êtres et juxtaposition de deux machines mal accordées ; Brown, première soliste depuis 2023 seulement, ne nous a jamais pleinement convaincu, non pas faute de technique, mais faute de cette capacité de s'imposer en scène que son partenaire dispense sans compter. Elle quittera le ballet de Stuttgart à la fin de la saison pour n'y avoir plus qu'un contrat d'artiste invitée.
La dernière pièce, Lost Room, donne à nouveau la parole à un danseur de la troupe, Fabio Adorisio ; sur les sonorités généreuses du violoncelle des sonates de Grieg et de Rachmaninov, Adorisio met en scène sept personnages en quête d'eux-mêmes avant tout sans doute. Lost Room, malgré toutes ses qualités chorégraphiques, partage un même défaut avec l'autre pièce pour ensemble de la soirée, celle de Vittoria Girelli : ne présenter que des costumes sombres et impersonnels, qui n'aident pas à distinguer les danseurs, est porteur en soi de monotonie. Même dans des pièces abstraites, sans narrations ni personnages, on aimerait que les danseurs individuels soient mis en avant, distingués, opposés ou appariés, ce qui ne pourrait que donner du rythme et de la lisibilité aux projets des chorégraphes.
Crédits photographiques : © Roman Novitzky/Stuttgarter Ballett.
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Stuttgart. Schauspielhaus. 19-VI-2025. Nacht/Träume (Nuit/Rêves).
Sospesi. Chorégraphie et costumes : Vittoria Girelli. Musique : Davidson Jaconello, Edward Elgar, Franz Schubert, Frédéric Chopin. Décor : Francesca Sgariboldi. Avec : Mackenzie Brown, Diana Ionescu, Ruth Schultz, Irene Yang, Matteo Miccini, Edoardo Sartori, Martino Semenzato.
La Jeune Fille et les Morts. Chorégraphie : Sasha Riva, Simone Repele. Musique : Franz Schubert. Avec : Aoi Sawano, Lassi Hirvonen, Martino Semenzato.
Nachtmerrie. Chorégraphie : Marco Goecke. Musique : Keith Jarrett, Lady Gaga. Costumes : Thomas Lempertz. Avec : Mackenzie Brown, Henrik Erikson.
Lost Room. Chorégraphie : Fabio Adorisio. Musique : Marc Strobel, Sergej Rachmaninow, Edvard Grieg. Décor et costumes : Thomas Mika. Avec : Mizuki Amemiya, Agnes Su, Irene Yang, Lassi Hirvonen, Christopher Kunzelmann, Matteo Miccini, Adhonay Soares da Silva.
Musique enregistrée.